J’ai visité Kronenbourg : (1) Voyage au cœur d’une brasserie industrielle

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Précision : Cette visite et cet article n’ont donné lieu à aucune rétribution, aucune proposition de contrat, si ce n’est une invitation à la cantine (riz et poulet), deux livres sur l’entreprise et quelques échantillons. Trolls et rageux, s’il vous plait, restez chez vous et trouvez quelque chose qui épanouisse vos vies.

 

À venir : J’ai visité Kronenbourg : (2) Le centre de recherche Carlsberg

À venir : J’ai visité Kronenbourg : (3) Des brassins de 1 200 hectolitres

 

Le Salon de l’Agriculture, c’est l’occasion de découvrir et faire du contact, notamment sur le stand de Brasseurs de France. Au hasard des rencontres, j’ai échangé avec Joao Abecasis, PDG de Kronenbourg, qui m’a invité à visiter le site Kronenbourg d’Obernai en Alsace, plus grande brasserie d’Europe. Une invitation qui ne se refuse pas.

On pense ce qu’on veut des grands brasseurs industriels, on aime ou pas leurs bières, pour ma part, il est clair que mes goûts se tournent évidemment vers d’autres productions,  mais il y a beaucoup à apprendre. Alors que le nombre de brasseurs ne cessent d’augmenter (une brasserie par jour en France d’après Maxime Costihles de Brasseurs de France) et que certains visent des augmentations de production et une diversification de leur diffusion, ce n’est pas inintéressant d’examiner un groupe qui cumule plusieurs siècles d’expériences sur cinq continents. La visite a eu lieu courant juillet sur le site d’Obernai.

Hatt, histoire d’une entreprise ancienne

Un peu d’histoire sur Kronenbourg. La légende fait remonter la fondation à 1664 quand un certain Hieronymus Hatt obtient le titre de maître brasseur et achète dans la foulée la brasserie du Canon (le bâtiment existe toujours). Dans cette période qui suit la guerre de Trente ans, la destruction des vignobles a entrainé un report des habitudes vers la bière, en plein essor.

Les différents avatars de l’entreprise initiale passent les siècles, les régimes politiques et parfois les changements de nationalité. Au XIXe, les dirigeants, inspirés par leurs homologues anglais et allemands, jouent la carte de la modernité avec la vapeur, la fermentation basse, la levure purifiée, et le chemin de fer qui offre un formidable levier de croissance en permettant d’approvisionner le reste du pays. Une brasserie moderne est créée en 1850 dans le quartier de Kronenbourg, qui plus tard lui donnera son nom.

Malgré l’annexion de 1870, la brasserie conserve ses débouchés en France et certains membres de la famille créent des filiales ou des structures autonomes de part et d’autre des Vosges comme la brasserie de l’Espérance à Ivry-sur-Seine dont on peut visiter les caves pendant les journées du patrimoine.

Les marques Tigre puis Kronenbourg

Après la réintégration à la France en 1918, la brasserie s’appuie sur son marché traditionnel et bénéficie de la concentration horizontale des activités brassicoles (maltage, distribution…) à travers ses filiales et partenariat. La Tigre Bock est un premier succès d’ampleur et connaitra une diffusion dans tout l’empire français. A noter qu’il s’agit d’une des premières marques au sens moderne où le nom de la bière  « Tigre » prend le pas sur le nom du brasseur « Hatt ». (La référence Tigre Bock fera d’ailleurs un retour en 2016.) À titre indicatif, en 1925, la brasserie Hatt produit 130 000 hectolitres.

 

Tigre bock 1922
En 1922, l’étoile à six branches (étoile de David, sceau de Salomon) restait un symbole alchimiste liée aux brasseurs. Elle ornait d’ailleurs les enseignes de brasseurs. Elle prendra un sens différent dans la décennie suivante et disparaitra des usages.

 

Après-guerre, l’entreprise se développe surtout à travers la Kronenbourg, « bière de luxe », selon les dénominations anciennes en appuyant sur l’identité alsacienne.

 

planque kronenbourg années 40
A noter, le choix surprenant en 1947 de mettre l’accent sur la germanité de la bière alsacienne (gage de qualité) avec l’écriture gothique et le K.

 

En 1969, avec deux millions d’hectolitres par an, la brasserie strasbourgeoise se sent à l’étroit et crée K2, un nouveau site ex nihilo à Obernai, alimenté par la nappe phréatique des Vosges et desservie directement par le rail. Une ambition à long terme puisque le site offre encore aujourd’hui des possibilités de développement.

 

K2
Carlsberg

 

En 1970, le groupe Kronenbourg, déjà agrandi par quelques fusions acquisitions, est intégré au géant de l’agroalimentaire BSN (aujourd’hui Danone). Kronenbourg continue sa croissance et se diversifie avec de nouvelles gammes (Force 4, Grimbergen, Wel scotch, 1664 blanche…) développant ainsi une expertise dans le lancement de nouveaux produits surfant sur les nouvelles tendances alimentaires. Elle adopte avec succès les nouvelles méthodes marketing, avec une grande souplesse dans l’utilisation des codes graphiques.

BSN Danone ont vendu les Brasseries Kronenbourg au groupe britannique Scottish & Newcastle en 2000. En 2008 S&N a été racheté conjointement par Carlsberg et Heineken, qui se sont partagés les actifs du groupe par pays, Carlsberg reprenant les actifs en France (mais Heineken ceux en Belgique). Carlsberg implante rapidement à Obernai son centre de recherche et de contrôle mondial.

Pour résumer, le site Kronenbourg K2 d’Obernai, c’est 800 employés, 7 millions d’hectolitres par an, 40% de la production française de bière 2018. Et la première brasserie d’Europe en volume.

En août 2018, Carlsberg annonce un investissement de 100 millions d’euros sur le site d’Obernai afin de moderniser et d’augmenter les capacités de production de la brasserie.

 

À venir : J’ai visité Kronenbourg : Le centre de recherche Calsberg

 

 

J’ai bien aimé la lecture des deux ouvrages suivants (offerts par Kronenbourg) :

– Kronenbourg depuis 1964. Astrid Eliard, Philippe Voluer. Ed. Cherche-Midi

C’est évidemment hagiographique et sans controverse, mais le document est intéressant, et chouettement mis en page. Il rend compte simplement et de façon assez complète de l’évolution d’une entreprise sur trois siècles et demi qui a su s’adapter au temps qui passe.

– Les Hatt, une dynastie de brasseurs strasbourgeois de 1664 aux années 1980. Nicolas Stoskopf. Ed. Sutton et Vandelle

C’est du lourd, du technique. Une étude de la généalogie de la famille Hatt et des comptes rendus de conseils d’administration. On y aborde l’évolution des formes juridiques des différents avatars de la société et les vicissitudes de l’Histoire. Pas à la portée de tous, mais assez intéressant.